C’est 1988 lors d’un de mes voyages dans le Ténéré que j’ai croisé Mourad.
Un grand Touareg tout drapé de bleu, accroupi à l’ombre de son dromadaire, qui préparait un thé dans une petite théière d’émail rouge.
Après les présentations et salutations d’usage, il me pria de m’asseoir face à lui pour partager son thé.
"Je suis l’un des derniers nomades à traverser ainsi le désert d’Est en Ouest avec mes chameaux. Les autres ont arrêté, préférant pour les uns transporter les marchandises dans de gros camions et pour les autres faire le guide dans des 4x4 Coréens ou des ballades sur chameaux pour touristes. Ils ne prennent plus le désert que pour trois ou quatre jours dans la semaine emmenant vivres et eau dans leurs véhicules. Alors que moi… "
"Quoi vous ?"
"Alors que moi. Je suis obligé de connaître encore où se trouvent les puits et surtout de les retrouver si je veux de l’eau pour faire mon thé."
Pendant qu’il disait cela, Mourad versa du thé dans un petit verre. Puis, en versant de haut, il remit le contenu du verre dans la théière. Cinq fois il recommença ces gestes.
"C’est un rituel chez nous, cela aére le thé et le rend bien meilleur."
"Euh, Mourad, vous avez dit : retrouver les puits ? Moi je croyais que vous autres, Touaregs vous connaissiez le désert par cœur."
"Effectivement, nous nous orientons parfaitement dans cette mer de sable. Nous avons une très bonne vue, les étoiles nous guident même en plein jour. Nous savons où aller et où nous sommes. Mais voilà, alors que vos montagnes et vos clochers ne bougent jamais, ici nos paysages changent sans arrêt. Un vent un peu violent, une tempête de sable qui s’éternise trois jours et trois nuits et voilà une dune qui était ici le lundi se retrouve là-bas le jeudi.
Regarde autour de nous l’ami, tu vois, il y a sept dunes. La semaine dernière lors de mon dernier passage, cinq seulement étaient là et pas au même endroit. Tu comprends qu’il n’est pas facile d’y retrouver un puits, même si je sais où je suis et où j’ai arrêté ma caravane."
Disant ces mots, Mourad ouvrit son sac en peau de chèvre et en sortit sept petites boîtes de bois.
"Voilà nos sept dunes !"
Il les arrangea en cercle sur son petit tapis marocain.
"Mon petit verre à thé sera le puits."
Prenant le morceau de bois que vous venez de choisir dans mon Cabinet de curiosité, Mourad me dit :
"Tu vois ce morceau de bois, je le tiens de mon père qui le tenait de son père qui lui-même le détenait de mon grand père, etc... C’est le seul objet avec mon cimeterre, ma théière, mon petit verre qui ne me quitte jamais. Ce bâton à le pouvoir de trouver l’eau là où on pourrait croire qu’il n’y en a pas".
Mourad remplit le petit verre de thé et me pria de le cacher sous l’une des sept dunes pendant qu’il aurait le dos tourné.
Je vous en prie faites de même, je vais me tourner et vous cacherez ce petit verre sous l’une des sept boîtes.
Lorsque le verre fut caché, le Touareg se retourna et s’approcha du tapis avec son bâton dans la main droite. Le bras tendu il fit lentement le tour des sept dunes. Il revint sur ses pas une ou deux fois. Puis il souleva l’une des sept dunes (boîtes). Dessous celle-ci se cachait le petit verre de thé que j’avais dissimulé à son insu.
"On m’a dit une fois, que chez vous certaines personnes utilisent ce genre de morceau de bois pour découvrir de l’eau. Vous les appelez "Les sourciers", c’est vrai l’ami ?. Vous dites même que ces personnes auraient des pouvoirs surnaturels. C’est vrai ?
Mon grand-père disait lui : "C’est le pouvoir d’Allah"
Alors que moi je crois que le pouvoir n’est ni dans la personne qui utilise ce bâton, ni ne vient d’Allah.
Mais c’est bien ce bâton qui est magique. Ce morceau de bois sec a soif et doit trouver de l’eau.
Voilà ce que j’en pense tout simplement."
Pour prouver ses dires, Mourad me proposa de recommencer l’expérience en inversant les rôles.
Le Touareg me confia le bâton, me pria de m’éloigner et de ne pas regarder sous quelle dune il irait cacher le puits. Quand ce fut fait, il m’appela.
Je refis exactement les mêmes gestes. Le précieux objet dans la main droite, je fis lentement le tour des sept dunes.
Devant l’une d’elles, le morceau de bois vibra dans ma main.
De l’autre main, je retirais la dune (boîte) et encore une fois le petit verre était dessous.
Le pouvoir était bien dans le bâton de bois sec.
Je revis Mourad deux ans plus tard à l’occasion d’une nouvelle virée dans le désert. Il avait laissé tomber la caravane et les grands voyages d’Est en Ouest "plus rentables" disait-t-il.
"Je me suis sédentarisé, je suis guide en 4x4, je fais découvrir mon Ténéré aux touristes."
"Et ton bâton magique qu'en as-tu fait ?"
"Mais l’ami, ajouta Mourad, tu t’en souviens encore du bâton et des sept dunes ?"
"Bien oui, comment oublier ?"
"Je n’en ai plus besoin, j’ai des jerricans d’eau et cela suffit pour 3 jours de désert"
Mourad le Touareg s’approcha de son 4x4, passa la main sous le siège conducteur et en tira un sac en peau de chèvre. À l’intérieur de celui-ci un coffret tout poussiéreux.
"Voilà je te l’offre, je sais que tu en prendras grand soin."
"A bientôt l’ami, me lança-t-il en s’éloignant dans son 4x4. Et n’oublie pas voyageur "Seules les montagnes ne se rencontrent jamais !…** "
Le coffret contenait une théière d’émail rouge, un petit verre à thé, sept boîtes de bois, un petit Coran de poche en cuir vert et ce précieux petit morceau de bois que vous avez dans les mains.
Quinze jours plus tard, dans le désert, on retrouvait le corps de Mourad desséché par le soleil de plomb. A ses côtés, un 4x4, capot levé, radiateur percé.
* Mourad : "Désiré de Dieu"
** Proverbe arabe
Jean-Marc Mourier (Kozou), le 28 Juin 2007
Le bâton magique de Mourad